Chaque mois, “Les Inrocks” passent un coup de fil à l’étranger, histoire de prendre le pouls d’une ville. La journaliste Salomé Grouard, installée à Hong Kong depuis cinq ans, nous parle de la politique culturelle du gouvernement pro-chinois visant à rendre inaudibles les scènes musicales locales indépendantes, plus contestataires et revendicatrices.
Tu me disais qu’il y avait, à Hong Kong, de fortes tensions entre le gouvernement et les scènes musicales locales et indépendantes. Tu peux m’éclairer ?
Salomé Grouard — Oui, c’est quelque chose que l’on ressent beaucoup ici. Une rivalité est en train de se créer entre les événements sponsorisés par le gouvernement et les initiatives que la scène indépendante essaie depuis longtemps de mettre en place. Pour faire simple, le pouvoir mise tout sur l’organisation de méga-événements, au détriment des communautés d’artistes locales.
De quels types de méga-événements parle-t-on ?
Principalement des concerts de stars internationales comme Coldplay, qui peut faire jusqu’à quatre dates d’affilée sold out, et d’artistes de cantopop, l’équivalent de la chanson de variété en France. Il n’y a pas vraiment d’entre-deux. Si on part dans la politique, ce sont principalement des artistes ralliés au gouvernement et au marché chinois qui sont donc favorisés. Il faut aussi comprendre que la pandémie a fait beaucoup de mal, des lieux cultes de la scène underground ont fermé. Et comme celle-ci a été très impliquée dans les manifestations de 2019, le gouvernement hongkongais a décidé de ne pas l’aider à se relever.
Quand tu parles des manifestations de 2019, tu fais référence au mouvement contre l’amendement de la loi d’extradition qui, selon les manifestant·es, aurait permis à la Chine continentale de s’ingérer dans les affaires juridiques de la région ?
Exactement. Hong Kong a longtemps été considéré comme un système libéral qui, traditionnellement, s’est exprimé contre le gouvernement chinois. Au pic des manifestations, un quart de la population hongkongaise était dans la rue. En Asie de l’Est, ce genre d’événement est en général assez calme et pacifiste. Là, tu voyais des gens se prendre des gaz lacrymogènes et des cocktails Molotov voler. Tout ça pour protester contre un rapprochement entre les gouvernements hongkongais et chinois.
Le choix délibéré du gouvernement de Hong Kong de privilégier l’organisation de gros événements est donc une manœuvre politique qui vise à offrir le moins de visibilité possible aux scènes musicales et culturelles locales, plus enclines à porter une voix de contestation ?
Ils ne le diront jamais comme ça, mais dans le fond, c’est ce qu’il se passe. Par exemple, si tu regardes les événements post-Covid soutenant les droits des personnes queer, des femmes et les droits humains en général, beaucoup ont été annulés ou placés sous étroite surveillance du gouvernement. En gros, tous les événements dits “inclusifs”, portés par des scènes musicales (electro, rock, rap) politiquement très engagées, ont commencé à sauter, pour privilégier des artistes qui, d’une manière ou d’une autre, sont acceptés par le Parti communiste.
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