La chorégraphe danoise Mette Ingvartsen invoque la puissance curative du mouvement dans une pièce qui ose les parasitages et les courts-circuits.
Danser à la folie, danser à en perdre la raison… L’histoire est riche de ces mouvements de foule où les corps se rebellent contre l’Église, où les communautés s’unissent dans des transes, où des crises se terminent en cérémonie. Mette Ingvartsen les cite dans l’avant-propos de sa création, Delirious Night : danse dite “de Kolbeck” ou bal des folles de La Salpêtrière. La matière est féconde, mais il ne s’agit pas de se plonger dans le bain du passé, plutôt de révéler les formes contemporaines de ce pouvoir d’agir en dansant.
Le décor est posé : des loupiotes en cascade, des scènes provisoires, un batteur en live (Will Guthrie, imparable). La fête peut commencer et les performeur·ses, du genre fortes personnalités, déboulent des travées du théâtre, le Cultuurcentrum De Factorij aux portes de Bruxelles (dans le cadre du KunstenFestivalDesArts). Masqué·es, ils et elles débutent une chorégraphie primale, frappent leurs corps en gestes saccadés. Cette nuit délirante va aller crescendo dans un rythme soutenu. On se nargue, on se toise. La folie est collective. Peut-être tout comme la guérison, qui sait ?
Mette Ingvartsen brosse le portrait d’une humanité fragile, libérée des attentes. Elle évoque l’idée de la danse en tant que force curative. Les circulations au plateau, superbes, sont autant de fuites en avant. Et lorsque les membres sont sur le point de s’engourdir, les voix prennent le relais l’espace d’un chant à tue-tête, trompe-la-mort pour tout dire. Delirious Night ne manque pas de s’épuiser à mi-parcours, et il faut l’irruption d’un personnage grotesque, sorte de Till l’Espiègle, pour relancer la machine : moqueur, farceur, insolent, ce trublion comme sorti d’une fable du Moyen Âge fait son effet. La pièce ose les courts-circuits, les parasitages en tout genre, s’amuse de son désordre pour mieux faire entendre ces cris de danse.
La Danoise questionne les affects, les sensations liées au corps depuis ses débuts. The Red Pieces, autour du nu et de la performance comme armes politiques, avait frappé les esprits. Dans un registre plus casse-cou, elle s’était intéressée également au sport comme métaphore du vivre-ensemble dans Skatepark, avec ses interprètes et de vrai·es pratiquant·es de la discipline. À première vue, pas de parenté directe entre le monde plutôt codé du skate et ces danses de nuit tout juste créées. Pourtant, en revendiquant la liberté de bouger, les un·es et les autres affirment un possible acte de résistance à l’ordre établi.
Delirious Night, chorégraphie Mette Ingvartsen, dans la cour du lycée Saint-Joseph, du 7 au 12 juillet à 22 h (relâche le 9 juillet).