Dans “Ernest Cole, photographe”, Raoul Peck rend hommage à un loser génial qui aurait dû connaître la gloire

Ernest Cole naît en 1940 dans un township d’Afrique du Sud. Il apprend la photographie puis fixe le quotidien de l’apartheid à l’aide de clichés souvent pris au vol pour ne pas se faire arrêter par la police. Cole publie en 1967 un livre, House of Bondage, aussitôt interdit, qui l’oblige à quitter le pays. Il se réfugie à New York, plein d’espoir. Mais, comme beaucoup d’immigré·es sud-africain·es, il ne parvient jamais à s’adapter à ce pays où les relations entre les Blanc·hes et les Noir·es, soi-disant pacifiées, sont faussées.

“La photo ment, toujours”, dit-il, mal à l’aise. Il réalise un reportage dans le Sud noir et pauvre, mais il est méprisé : qui est cet étranger qui nous juge ? Il sombre dans la misère à 40 ans, vend ses appareils, se dissout peu à peu dans le brouillard de New York et meurt à 49 ans, quelques jours après la sortie de prison de Nelson Mandela, qui augure pourtant une nouvelle ère. Mauvais kairos. Cole a toujours souffert de n’avoir jamais pu retourner dans son pays, qu’il décrivait pourtant comme un “enfer”.

Quelques années après sa disparition, une banque en Suède, où Cole avait fait plusieurs séjours, confie au neveu du photographe 60 000 négatifs Agfa stockés dans un coffre. Qui a payé pour leur conservation ? Aucune info – 524 clichés de Cole, parmi les plus connus, restent encore bloqués en Suède… Le documentaire admirable et déchirant de Raoul Peck, au montage basé en grande majorité sur des images de Cole, est comme le pendant tragique de son portrait de James Baldwin, le miraculeux I Am Not Your Negro (2016) : un film sur un loser génial qui aurait dû devenir riche et célèbre.

Ernest Cole, photographe de Raoul Peck( É.-U., 2024, 1 h 45). En salle le 25 décembre.