Le chef-d’œuvre emblématique de Charles Chaplin, fête ses 100 ans avec une version restaurée 4K. Après une présentation à Cannes Classics, il ressort en salle le 26 juin.
Il neige encore sur le Klondike. En 4K désormais. Cent ans après sa première sortie (Chaplin en sortira une nouvelle version sonorisée et remontée en 1942), La Ruée vers l’or revient en salles : Charlot glisse à nouveau dans ce grand paysage gelé, en prospecteur dégingandé poussé par les promesses de l’or, croise gangsters, ours et famine.
On connaît les scènes cultes : la danse des petits pains, le festin de la chaussure bouillie. On sait également combien l’âge d’or du burlesque américain a déposé comme héritage tout un cinéma d’action, voire d’aventure. Jean-Marc Lalanne écrivait pour l’ouverture du festival de Cannes sur la parenté entre Mission impossible et Chaplin : d’un côté, la vitesse néolibérale, le corps performant, d’Ethan Hunt, de l’autre, la silhouette obsolète de Charlot, sa maladresse stylisée. Et si La Ruée vers l’or n’était pas également l’ancêtre du film catastrophe ?
Un film de survie
Pas la fin du monde des champignons nucléaires, mais sa version douce. Celle où les corps se dégradent lentement dans la neige, où l’isolement est roi, où la cabane tremble au bord du précipice. Terrain sans loi, prédation animale (le colosse amnésique Big Jim qui chasse Charlot, le fantasmant en poulet dodu, est une pure scène de cannibalisme light), économie de survie, nature indifférente : tout est là. C’est La Route en chapeau melon. Car Chaplin n’est pas seulement un maître comique. Il est un penseur mobile du monde effondré. La Ruée vers l’or parle d’une humanité réduite à ses fonctions vitales, à la bouffe, au chaud, au lien ténu qu’on garde avec les autres à coups de pantomime.
Et c’est précisément là que le burlesque intervient : comme une réponse physique et poétique à la décomposition. L’imaginaire devient la seule ressource renouvelable. Un rêve de réveillon, deux quignons de pain qui se prennent pour des ballerines, et voilà comment l’être humain subsiste. Nous ne sommes pas si loin des hallucinations alimentaires de Hook ou du Tombeau des lucioles. Cet imaginaire enfantin n’est pas seulement un refuge, mais devient aussi un levier et un moteur du survival, avec ce goût partagé pour les espaces de fortune et les menaces en essaim. À deux doigts d’imaginer Chaplin chez John Carpenter, à traquer The Thing dans un huis clos enneigé paranoïaque.
Un mélodrame hollywoodien
Mais cette tempête de neige infinie est aussi là pour faire émerger la tendresse. La Ruée vers l’or serait un film de survie affective. Où quelque chose de plus essentiel que le mirage d’un métal précieux viendrait se répandre : un amour partagé, avec une danseuse de saloon venue comme une grâce. En poussant le burlesque dans ses retranchements, infusé cette fois du mélodrame hollywoodien à grand spectacle, Chaplin, chantre de l’endurance du cœur humain, aura ouvert la voie avec un geste pionnier. Ce qui, étymologiquement lui va si bien, tant il demeure sans doute le plus grand piéton de l’histoire du cinéma.
La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin – ressortie le 26 juin