Mostra de Venise 2023 : “Priscilla” de Sofia Coppola, représenter la femme derrière l’artiste

La souffrance et les échappatoires de femmes enfermées dans des cages plus ou moins dorées constituent le cœur de la filmographie de Sofia Coppola (à l’exception notable des Proies, qui renverse ce dispositif). Basé sur les mémoires de Priscilla Presley, qui en est aussi productrice exécutrice, son nouveau long métrage, présenté hier en compétition à la Mostra, ne fait pas exception. Il raconte par le menu la façon dont Priscilla Beaulieu a rencontré Elvis à 14 ans (lui en avait 24) avant de déménager dans son domaine de Graceland et d’y vivre jusqu’à leur séparation en 1972. Il s’agit du second film mettant en scène le couple Presley, après celui de Baz Luhrmann sorti l’an dernier (Elvis), où Priscilla n’apparaissait cependant qu’au second plan (incarnée par Olivia DeJonge).

Si la mise en scène n’a rien d’étourdissant, et malgré la partition bien terne de Jacob Elordi en Elvis (dans le registre de l’imitation, Austin Butler ne sera probablement jamais égalé), le film est passionnant dans la façon dont il offre un contrechamp, un décadrage à Elvis. Comme le film de Luhrmann, Priscilla est le récit d’une emprise, pas celle de son impresario, le colonel Parker interprété par Tom Hanks, sur Elvis, mais bien celle du chanteur sur Priscilla, jouée par la révélation Cailee Spaeny.

Le récit d’une emprise

“C’est moi ou ta propre carrière”, lui dit dès le début de leur relation le chanteur. Et de ce parcours sacrificiel, Sofia Coppola raconte à la fois l’ivresse d’avoir été choisie par l’une des plus grandes stars du monde et surtout la nature abusive de leur relation. Outre la controverse autour de leur écart d’âge et du fait qu’elle était mineure au début de leur histoire, Priscilla raconte la façon dont Elvis l’a fait tomber dans la consommation de somnifères et d’amphétamines à gogo, l’a trompée à tour de bras, l’a isolée de sa famille, lui dictait sa façon de s’habiller et de se comporter et, pour couronner le tout, la violentait à la fois verbalement et physiquement.

Là où Priscilla est précieux, surtout dans cette Mostra controversée suite à la sélection de Besson, Polanski et Allen, c’est parce qu’il pointe avec précision et sans ostentation l’impunité dont jouit l’artiste, la façon dont il se permet de détruire la personne qu’il dit le plus aimer. En cela, il achève un projet exactement inverse à celui du film de Baz Luhrmann, qui pose Elvis en victime et se met en service de l’édification de sa légende. Sofia Coppola égratigne le mythe, relie l’homme à son œuvre, décrit un procédé d’emprise et délivre un portrait de femme tragique et vibrant. En sortant de la projection, on se dit que le problème, avec les cages dorées, ce n’est pas tant la préciosité de leur métal, mais le fait que ce soit toujours des hommes qui en détiennent les clés.

Édito initialement paru dans la newsletter cinéma du 5 septembre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !