[2023 vue par] Chloé Delaume :  “Les femmes et les personnes sexisées restent les otages de la culture du viol”

Ce qui m’a réjouie en 2023 :

Le succès de l’ouvrage de Neige Sinno, Triste tigre. C’est une publication importante, qui a un impact sociétal. La question de l’inceste y est posée frontalement, elle permet à la parole de se libérer, c’est un vrai soutien pour les victimes. Et de manière générale, la production éditoriale féministe, toujours aussi vivace depuis quelques années. Beaucoup de témoignages, d’essais, de romans, de formes poétiques, comme autant d’outils permettant d’être lucide, de s’autoriser à penser hors de l’hétéronormativité, de se restructurer individuellement et de s’organiser collectivement. 

La publication de Ravages de Violette Leduc dans sa version non-censurée chez l’Imaginaire Gallimard. C’est un geste de réparation très fort mis en place par Margot Gallimard, l’éditrice de la collection ; j’ai trouvé cela aussi touchant que nécessaire. 

Ce qui m’a excédée en 2023 :

L’impunité de toutes ces personnalités publiques masculines accusées de violences sexistes, de harcèlement, d’agressions sexuelles, de viols. Ils continuent de se montrer, dans les garden party éditoriales ou sur les plateaux télé, comme si de rien n’était, ou s’ils étaient les vraies victimes. Dans ce pays, seulement 1% des viols sont condamnés. Quand il s’agit d’hommes connus, il semblerait que les faits se trouvent quasi systématiquement niés, prescrits, voués au non-lieu. 

Il a fallu que quarante-neuf femmes aillent voir la police, que vingt-quatre déposent plainte, dont douze pour viol et une pour viol sur mineure, pour qu’on arrive enfin à une mise en examen de Patrick Poivre d’Arvor. Et encore, pour un seul viol. 

Le rapport annuel sur l’état du sexisme en France, publié par le Haut Conseil de l’Egalité cette année, m’a rendu malade : “Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent et les jeunes générations sont les plus touchées.” Désormais tout le monde connait les chiffres, les statistiques des violences sexistes et sexuelles, du viol toutes les sept minutes en France, comme du féminicide tous les deux ou trois jours. Pour autant, rien ne bouge, le réel n’est pas modifié. Les femmes et les personnes sexisées restent toujours les otages de la culture du viol et d’une société qui valorise la masculinité toxique et protège de façon systémique les prédateurs. J’espère que ça s’arrangera en 2024.

Dernier livre paru : Pauvre folle (Seuil). En librairie.