L’auteur-compositeur bouscule le genre autobiographique et aborde avec pudeur les douleurs de l’enfance.
Ce qui frappe, quand on se plonge dans ce nouveau texte de Bertand Belin, c’est sa phrase rageuse. Un saisissant torrent de mots bouscule tout sur son passage et peu à peu laisse entrevoir ce qui est à l’origine de ce livre, et sans doute de toute son œuvre : le désarroi d’un petit garçon face aux déchaînements de violence de son père.
Car l’auteur nous offre ici un manuel de survie en territoire hostile. “Je l’ai appris à mes dépens, le moindre son de rien du tout, comme une respiration perçue à travers une porte, peut rendre un chef de famille fou de rage au point qu’il vous empoigne et vous jette contre les murs comme un linge mouillé.”
En 2020, Belin avait publié Vrac, recueil composite de poésies et de fragments où déjà transparaissait l’âpreté de l’enfance. À la fragmentation succède ici la densité, avec ce récit ramassé comme un bloc pour dire l’indicible : l’appartement familial où, petit garçon, il ne voulait pas vivre.
Un texte que Belin a travaillé en poète, nous livrant des phrases fulgurantes et des images d’une beauté brute pour raconter cette famille rurale et pauvre coincée dans un lieu indéterminé de l’Ouest de la France. Il parle de sa vie d’adulte à Paris où il a, écrit-il, “vécu comme en surface d’un potage pendant longtemps” et se souvient de son retour là-bas, des années plus tard, à la mort du père.
Dans ce déversement de mots pleins de fureur, quelques souvenirs hypnotiques reviennent de manière obsessionnelle : une oie dont on tranche le cou, la mère qui menace d’aller se jeter de la falaise, une période où la famille sans logis a dû vivre sous une tente.
Belin travaille l’ellipse et le non-dit, la métaphore, comme cette “figure” qui est toujours à ses côtés, sorte d’ami imaginaire qui tient compagnie à l’enfant assis tout seul au pied de son immeuble. Et il observe ce que cette ambiance faite de précarité et de violence a forgé en lui : “Je suis pour toujours mécontent. Et stupéfait de me trouver chanceux de vivre. C’est ainsi.”
Belin ne sacrifie pas au genre autobiographique classique. Il suggère plus qu’il ne raconte “la malchance de se trouver au cœur même d’une machine à mal grandir où le hasard vous a fait naître” et l’état de désarroi dans lequel il a pu se trouver – “Ourdir un assassinat, je l’ai fait, camarades” – sans être dans la rancœur, encore moins dans l’apitoiement.
Il ne s’accorde aucune facilité et se garde de tomber dans le discours attendu d’un transfuge de classe portant un regard surplombant sur son milieu de naissance. Se tenir à distance est peut-être sa philosophie de vie, tant il semble regarder avec circonspection ce milieu où il évolue aujourd’hui.
Ainsi cette évocation d’un dîner dans les galeries du palais Garnier : “Comment j’étais perdu je ne vous dis que ça.” Et il constate sobrement que, loin d’être derrière lui, son enfance détermine encore ce qu’il est aujourd’hui : “Des pans entiers de passé, choisis parmi ceux qui me glaçaient le sang, ont dérivé comme des icebergs pour venir geler mes efforts ici, à distance dans le temps et l’espace.”
La Figure de Bertrand Belin (P.O.L), 280 p., 19 €. En librairie le 2 janvier.
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