L’autrice du “Garçon incassable” donne voix à une adolescente observant un adulte défaillant, et l’emprise qu’il exerce sur sa famille. Très subtil.
Difficile de désigner d’un seul qualificatif le personnage complexe qui plane sur le dernier livre de Florence Seyvos : Fou ? Flamboyant ? Tragique ? Manipulateur ? Généreux ? Égocentrique ? Jacques travaillait à Abidjan, persuadé d’y faire fortune. Il avait même convaincu la mère d’Irène et d’Anna de vivre là-bas avec lui en famille, avant qu’elle ne renonce et rentre au Havre avec ses filles.
Dès lors, il venait les voir une ou deux fois par an, tentant toujours de persuader tout le monde que cette fois, il allait devenir riche. C’est sur un de ces retours calamiteux que débute le livre. La scène se passe dans les années 1980 et Anna était lycéenne. Des années après, elle se souvient.
Une insécurité diffuse et permanente
Depuis Les Apparitions, Prix Goncourt du premier roman en 1995, Florence Seyvos sait mettre en scène le malaise, les situations troubles, les désarrois de l’enfance et de l’adolescence. Ici, Anna vit dans une insécurité diffuse et permanente, se montre souvent plus lucide que sa mère mais dépend des adultes et de ce qu’ils et elles imposent. Elle se trouve embarquée malgré elle dans un quotidien complexe, marqué par l’imprévisibilité de son beau-père.
Le livre est baigné d’une atmosphère déstabilisante, car le désastre semble inéluctable mais les lecteur·ices ne peuvent prévoir quelle forme il prendra.
Une personnalité complexe
La richesse du texte tient en grande partie à la personnalité complexe de Jacques, un homme en apparence très attentionné qui s’avère tyrannique, et toxique pour l’adolescente et sa sœur. Leur mère peu à peu se retrouve au centre d’un livre qui décrit avec beaucoup d’acuité un phénomène d’emprise vu à travers les yeux d’une enfant. Anna observe sa mère, qui plongée dans la précarité financière à cause des frasques de son mari tente mois après mois de garder la tête hors de l’eau sans pour autant être en capacité de réagir. “Quand je repense à cette période, c’était comme si notre mère avait perdu sa voix”, se souvient Anna.
Un perdant magnifique de Florence Seyvos, éditions de l’Olivier, 144 p., 19,50 €.
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