Dans cette série d’articles, “Les Inrocks” braquent les projecteurs sur les femmes photographes qui immortalisent la scène rock actuelle. Histoire de rappeler que les crash ne sont définitivement pas l’apanage des hommes. Aujourd’hui, Matihldeuh, artiste française démarchée par Jamie xx.
“Photos de mega stars et de créatures poétiquement trash.” Voilà la description qui apparaît en lettres capitales sur le compte Instagram de celle qui se surnomme Matihldeuh (Mathilde dans la vie, au hasard). Photographe basée à Paris, on l’a croisée à la soirée de fermeture de L’International, mythique bar à concert de la capitale qui a stoppé son activité le 26 avril dernier. Il y avait du beau monde lors de cet ultime rendez-vous rue Moret. Une semaine plus tard, on s’est donné rendez-vous dans un café du Xe arrondissement pour qu’elle s’épanche sur son art, frappant par ses couleurs sous stéroïdes.
Matihldeuh se présente comme une “photographe de concerts, drag shows, performances et teufs”. Cela fait sept ans qu’elle s’y est mise, délaissant pour de bon le milieu du cinéma qui “ne [lui] convenait pas du tout”. “En tant que photographe, je suis beaucoup plus libre, je n’ai pas la pression d’un patron au-dessus de moi, c’est moi qui décide ce que je fais”, assure-t-elle. Et de renchérir, lucide : “Je savais que ça allait être aussi complexe que le cinéma, que j’allais mettre du temps à en vivre, que j’allais être précaire longtemps, mais ça ne me dérange pas tant que je fais quelque chose que j’aime.” En concert entre une et trois fois par semaine, Matihldeuh capture aussi bien les petits groupes que les plus gros artistes. Par le biais de son objectif et de ses retouches avisées, elle les propulse tout droit dans son univers distordu, saturé et polychrome. “Pour chaque photo, je teste plein de choses : je vais dans les négatifs, je détruis la photo, je mets du bruit… Il n’y a rien qui puisse m’arrêter !”, s’esclaffe-t-elle.
Mine de rien, la photographe sait très bien ce qu’elle fait. Et ce qu’elle aime. “À force d’expérimenter, je me suis rendu compte que ce qui me plaisait le plus, c’était la couleur et le fait de créer des ambiances hyper trash, visuellement très éclatantes”, explique-t-elle. “J’ai besoin qu’il y ait des couleurs dans tous les sens.” Un regard qui séduit bien au-delà des petites sphères parisiennes, si l’on en croit sa récente collaboration avec Jamie xx, qu’elle a photographié lors de son concert à l’Adidas Arena, le 21 mars.
“C’est sa manageuse qui m’a contactée via son compte Instagram, donc je me suis dit wow, ça ne rigole pas. Moi, j’ai l’habitude de faire des photos dans des petites salles, dans des bars, je dois me battre pour une accréd’ et là, ça me tombe dessus”, raconte Matihldeuh. Le jour J, elle affronte son “stress monumental” et pénètre dans la salle, impressionnée par “l’immensité” du lieu. Et ce, armée de son fidèle Lumix S5 et d’un objectif 20-60mm “qui commence pourtant à montrer ses limites”. “J’ai dû zoomer à la retouche après, mais ça s’est très bien passé !”, se félicite-t-elle. Preuve que l’appareil ne fait définitivement pas la photographe.
Pourquoi avoir choisi de documenter la scène underground ?
Matihldeuh – C’est ma scène préférée. Je l’ai découverte avec Mistigris, parce que j’avais un pote dans ce groupe. Ils sont incroyables sur scène, hyper bienveillants, ils prennent la parole dès qu’il y a un problème dans le public… J’aime bien les gros artistes, les gros concerts, mais il y a tellement de petits lieux où j’ai passé les meilleures soirées de ma vie avec des petits groupes que j’aime trop ! Je n’aurais jamais été aussi assidue si je ne les avais pas photographiés avant.
“Le matos, ça ne fait pas tout”
Une nouvelle génération de photographes semble se réapproprier la photo de concert, longtemps restée aux mains des hommes. Est-ce que ton objectif est de proposer un autre regard, qui relèverait du female gaze ?
La volonté n’est pas seulement d’apporter un female gaze et un nouveau regard, elle est aussi de faire un truc qui nous plaît. On ne choisit pas les mêmes groupes, on ne les capture pas de la même manière. En concert, je vois beaucoup de photographes avec de gros objectifs, ils ne connaissent même pas le groupe, ne s’ambiancent pas et prennent toute la place… Quand tu vois leurs photos, ce n’est pas possible ! Le matos, ça ne fait pas tout. C’est inspirant qu’on soit plein de meufs à s’y mettre et à se retrouver en concert. Nos regards se complètent et on se tire vers le haut, il n’y a pas du tout de concurrence. Fuck les hommes, c’est notre tour.
Qu’est-ce qui fait une bonne photo de concert ?
J’ai besoin qu’il y ait une sorte d’énergie, une aura qui se dégage de la scène et que j’arrive à sublimer avec la retouche, comme une pose incroyable à un moment improbable. Des fois, je me surprends à aimer aussi des photos en noir et blanc, des trucs un peu crades avec des noirs très noirs et des blancs très blancs, beaucoup de grain, du bruit, quelque chose de très brut. À partir du moment où t’as envie d’être au concert en voyant la photo, t’as tout gagné.
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