Plus fort, plus cool et mieux foutu, le nouveau disque des Britanniques s’impose grâce à une nouvelle fournée de tubes belliqueux et salutaires.
C’était une belle journée de printemps. Un pigeon a chié sur le journaliste parti à la rencontre de Rhian Teasdale. “Vraiment ? Mais ça porte bonheur !” Rien ne peut entamer l’enthousiasme de la chanteuse de Wet Leg, qui n’hésite pas à nous serrer la pince malgré l’incident. Début avril, elle apparaissait pourtant peu commode sur le plateau de Jimmy Fallon, bodybuildée et les pognes dans une paire de gants de boxe, pour interpréter le nouveau single de la formation de l’île de Wight, Catch These Fists. “I don’t want your love, I just wanna fight”, l’entendait-on scander sur le refrain, belliqueuse.
“J’ai commencé à soulever de la fonte après deux ans de tournée, dit-elle, hilare. J’avais besoin d’une nouvelle routine. C’était plus pour ma santé mentale qu’autre chose. En fait, j’ai pris du muscle, mais sans le faire exprès”. C’est simple, on l’aurait cru échappée de Love Lies Bleeding (2024) de Rose Glass, avec Kristen Stewart et Katy O’Brian. “J’adore ce film, oh my God ! Je tapais des pieds jusque dans la salle de ciné !”
Le duo est devenu quintet
Il ne fallait pas moins qu’un peu de gonflette et une sacrée envie d’en découdre pour aborder l’épreuve du deuxième album. Trois ans après le carton de Wet Leg (2022), un disque au succès programmé, garanti all bangers no fillers, et une tournée mondiale monstre sur les cinq continents, Moisturizer ne pouvait qu’être attendu au tournant.
Le duo que Rhian formait avec Hester Chambers s’est d’ailleurs transformé au passage en quintet, après plus de deux ans entassé·es dans un tour bus avec Ellis Durand (basse), Henry Holmes (batterie) et Joshua Mobaraki (guitare), le groupe live : “Il n’y a pas vraiment eu de discussion, ça s’est fait naturellement. Quand tu joues à cinq tous les soirs, ça crée des liens. Écrire ce nouvel album ensemble coulait de source”, nous explique Rhian, qui côtoie Ellis depuis l’adolescence, même si elle et lui ne faisaient alors pas de musique ensemble.
“Il m’a envoyé une photo de nous l’autre jour, on devait avoir 15, 16 ans. Tu aurais dû voir ça ! Il a une tête de bébé sans barbe et moi des cheveux bleus, avec une frange bien droite.” Pari gagnant, puisque Wet Leg n’a rien perdu de son caractère espiègle et teigneux – Rhian pourrait presque tenir le rôle d’une serial killeuse à la Harley Quinn dans un film d’horreur contre le patriarcat.
Tout ici sonne mieux. Plus fort, plus malin, plus cool, mieux foutu. Le groupe continue de mener à bien sa barque en traçant un sillon salutaire entre le rock alternatif des Breeders et les pop songs des Spice Girls, tout en se forgeant une marque de fabrique bien reconnaissable : références à la culture pop (Davina McCall, Jennifer’s Body, Pokemon), fulgurances en veux-tu en voilà, refrains à reprendre en chœur. Moisturizer ressemble à l’album d’un groupe qui a trouvé son truc sans chercher à nous refaire le coup de la Chaise Longue, le tube immédiat qui a mis le duo sur orbite alors que les deux jeunes femmes avaient encore des jobs alimentaires.
La métamorphose queer
Le pas de géant se remarque d’autant plus quand on se penche sur le cas de la voix de Rhian, qui ferait presque passer sa prestation sur le premier album pour un simple exercice de bande demo : “Enchaîner les concerts soir après soir, c’est une véritable école. Quand on a mis en boîte le disque précédent, je n’avais presque jamais rien enregistré, je ne réfléchissais pas à ma voix. Je me rends compte que je ne la comprenais pas vraiment. Après deux ans de tournée, j’ai gagné en compréhension. J’ai plus de textures, de capacités vocales aussi. Et j’ai acquis une certaine maturité émotionnelle. En gros, j’ai enrichi ma palette.”
Si Hester a fait le choix de la mise en retrait – elle ne donne plus vraiment d’interview et joue dos au public comme une punk –, Rhian documente ici sa métamorphose queer, elle qui nous disait en 2021 avoir voulu monter un groupe ado pour impressionner les mecs : “C’est drôle de me retrouver face à ce que j’ai dit il y a des années, c’est comme relire des vieux bulletins scolaires. Ça a le mérite de mesurer le chemin parcouru depuis que j’ai découvert ma queerness. Même la façon dont je m’habille a beaucoup changé depuis mes débuts avec Wet Leg. Je crois que je ne voulais concéder aucun centimètre de ma peau au regard des hommes.
Aujourd’hui que je suis avec ma copine depuis quelques mois, je suis plus à l’aise et je refuse que la crainte d’être sexualisée ne m’affecte. Je m’habille pour moi et pour que ma copine me trouve hot.” L’amour et les sentiments suintent sur Moisturizer, mais les chansons ne sont jamais tarte : “Quelque chose ne marchait pas quand j’essayais d’écrire ce genre de morceau avant, peut-être parce que j’étais dans le fond une lesbienne enragée qui s’ignorait.”
Moisturizer (Domino/Sony Music). Sortie le 11 juillet. En concert au Festival Beauregard, Hérouville-Saint-Clair, le 6 juillet ; au Cabaret Vert à Charleville-Mézières, le 17 août ; à l’Olympia, Paris, le 27 octobre et au Transbordeur, Lyon, le 28 octobre.