Adopté par Chloë Sevigny ou Charli XCX, le duo américano-norvégien Benjamin Barron et Bror August Vestbø s’impose comme l’un des plus singuliers de sa génération.
Chez All-In, les vêtements flottent au-dessus des corps. Aux commandes du label, un duo américano-norvégien composé de Benjamin Barron et Bror August Vestbø, finalistes du prix LVMH 2025. Leur spécialité ? Faire léviter le familier, rendre étrange ce qui est connu. Pulls suspendus en aplat, chemises échappées des portants, tutus figés, comme dotés d’une mémoire propre : leurs vêtements racontent l’instant où l’on entre dans un rôle, ou peut-être celui où on le quitte. “On veut créer des personnages à partir des vêtements, leur donner une histoire, presque une vie propre”, expliquent-ils.
Adopté par Chloë Sevigny, Lily-Rose Depp ou Charli XCX, All-In capte l’air du temps et la critique s’emballe. Depuis Vetements en 2015, qui a vu Demna et Guram Gvasalia sacraliser le hoodie et dynamiter les codes bourgeois, Paris attendait un nouveau séisme. Le label s’amuse avec les tropes des féminités populaires et réinvente la robe bustier de gala, les T-shirts de pop stars portés par les adolescentes pour jouer avec la “nostalgie cheap” et le désir. Comme libéré du corps, le vêtement devient alors lui-même un personnage.
Du papier au tissu
Avant la mode, il y eut le papier. En 2015, dans le prolongement de son projet de fin d’études, Benjamin Barron lance le premier numéro du magazine All-In. Alors étudiant au Bard College, un temple arty perdu entre Whitman et les cabanes à pancakes aux États-Unis, il imagine une revue pour rencontrer les talents mode de New York. Pari gagnant puisqu’il croise la route de Bror August Vestbø, un jeune prodige norvégien qui vient de créer son premier label. Bror devient le directeur artistique du second numéro. Un monde est né, avec des personnages mutants, des scrapbooks bricolés, des récits déviants. “On nous disait que le papier était mort. Mais j’y voyais un espace de collaboration et de formes personnelles manquantes.”
Sans annonceurs, soutenus par quelques marques, ils commencent à fabriquer leurs propres vêtements. En 2019, encouragés par la créatrice de mode irano-américaine Maryam Nassir Zadeh (derrière la marque MNZ), ils montrent leurs pièces dans un showroom improvisé dans un Airbnb parisien. Enthousiasmée, Maryam les pousse à continuer, jusqu’à leur premier défilé en septembre, dans sa boutique. Lotta Volkova, styliste-culte passée par Vetements (le destin !) et aujourd’hui chez Miu Miu, achète leurs premières pièces. Depuis, elle ne les quitte plus.
Ce qui anime Barron et Vestbø, c’est l’envie de créer des personnages composites, contradictoires. “Il y a toujours un conflit intérieur. C’est comme si la personne qu’on imagine n’existait pas vraiment.” Et leur obsession pour l’hyperféminité résonne : “C’est l’image de soi la plus construite. Ces pop stars, ces reines de beauté sculptent leur apparence à l’extrême.” Le vêtement chez All-In n’est jamais neutre : il est un filtre, un écran, une narration.
À l’heure où l’on parle de vêtements numériques switchables en un clic, Barron et Vestbø défendent le tangible : des vêtements portables mais aussi porteurs de fictions. Le sociologue Erving Goffman résumait : “La vie sociale est une scène.” Chez All-In, le costume lui-même semble parfois vouloir quitter la scène avant l’acteur. Suspendu à quelques millimètres du corps, il expose l’illusion fondamentale : nous jouons tous·tes, à chaque instant. Alors, puisque la mascarade est inévitable, autant la brandir comme un étendard. C’est peut-être ça, au fond, le vrai message d’All-In.
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