Malgré un casting au diapason et une ambiance fargoesque à souhait, “The Sticky” manque d’ampleur et s’engonce dans la comédie inoffensive.
C’est une histoire bien réelle, aussi tordue que cocasse, et l’un des faits divers les plus célèbres du Québec : le vol, en 2012, de plus de 10 000 barils de sirop d’érable (l’or liquide du pays) par une étonnante association de malfaiteur·rices, pour un butin s’élevant à plus de 18 millions de dollars.
“Ceci n’est absolument pas l’histoire vraie du vol de sirop d’érable du siècle”, nous avertit le panneau qui ouvre chacun des 6 épisodes de The Sticky, coproduction canado-américaine sous pavillon Prime Video. Manière de dire qu’en dehors du fait divers qui lui sert de synopsis, tout dans la série est pure fiction. Un procédé qui rappelle Fargo (1996), le chef-d’œuvre des frères Coen, mais aussi sa (géniale) adaptation en série signée Noah Hawley, qui indiquaient par un panneau similaire que nous étions devant “une histoire vraie”, avant de se raviser avec roublardise dans un second panneau expliquant que tout avait en fait été inventé.
Un dégradé de l’anti-héros coennien
Et c’est loin d’être le seul point commun qui lie The Sticky à Fargo. Outre leurs paysages pareillement enneigés (le Minnesota pour l’un, le Québec pour l’autre) et leurs faits divers semblablement farfelus (un kidnapping insensé vs le braquage de la réserve nationale de sirop d’érable), c’est plus encore par leur galerie de personnages pittoresques que les deux œuvres se répondent ; ou, plus exactement, que The Sticky convoque Fargo.
On retrouve pêle-mêle : des gangsters incompétent·es, aussi maladroit·es que capables du pire, d’éternel·les loseur·ses reconverti·es malfaiteur·rices en herbe, d’attendrissant·es ploucs au chaleureux patois ; toutes et tous emmitouflé·es dans des manteaux d’hiver, un bonnet de laine vissé sur la tête, des moufles sur leurs deux mains gauches. Soit un dégradé quasi exhaustif de l’anti-héros coennien prototypique.
Magouilles et revanche sociale
Tournée en anglais, tout en conservant quelques mots du vocabulaire (délicieusement fleuri) québecois, The Sticky réussit avec finesse, et en évitant les clichés, sa radiographie rurale de la Belle Province : ses champs enneigés s’étirant à perte de vue, ses habitant·es rompu·es au climat rugueux, et ses producteur·rices de sirop d’érable malmené·es par les méthodes farouchement capitalistes, pour ne pas dire carrément mafieuses, de l’Association des producteurs de sirop d’érable, dirigée d’une main de fer par l’inflexible Léonard Gauthier (Guy Nadon).
Car c’est un semblant de revanche sociale qui pousse Ruth Landry (Margo Martindale) – acéricultrice d’âge mûre au caractère bien trempé, révoltée par les magouilles bureaucratiques de l’association – à s’associer avec un petit malfrat de Boston (Chris Diamantopoulos), aussi sanguin qu’incompétent, et un agent de sécurité de 40 ans (Guillaume Cyr), du genre ado mal dégrossi, pour fomenter le braquage, forcément dosé en emmerdes, de la réserve nationale de sirop d’érable.
The Sticky se binge plaisamment
Hélas, en dépit d’acteur·rices au diapason et d’une ambiance fargoesque idoine pour vos soirées d’hiver, The Sticky manque d’ampleur. Sûrement en raison de son format ramassé (6 épisodes de 30 minutes environ) qui l’empêche de fouiller davantage ses personnages ; mais surtout à cause de sa déférence manifeste à Fargo, qui s’avère finalement assez scolaire et surtout cosmétique.
Là où le film des Coen et la série de Hawley parvenaient, à partir d’un invraisemblable fait divers tournant au vinaigre, à ausculter les tréfonds les plus sombres de la nature humaine, basculant avec un sens de l’équilibre funambule du comique au tragique, maniant l’ironie avec métier, The Sticky s’engonce dans la comédie inoffensive, parfois peu vraisemblable, et peine à faire surgir la gravité et à affleurer une réflexion sur la stupidité du mal, qu’elle semble pourtant viser à plusieurs reprises (car ici aussi, les cadavres s’empilent stupidement). Alléchante sur le papier, The Sticky se binge plaisamment, mais souffre inévitablement de la comparaison avec son inaccessible modèle.
The Sticky, créée par Brian Donovan (II) et Ed Herro, avec Margo Martindale, Chris Diamantopoulos, Guillaume Cyr. Disponible sur Prime Video.
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